Éditions Parole L’homme semence

Une recherche en collaboration avec les éditions Paroles, adaptée du récit de Violette Ailhaud. Ici, l'histoire se racontera à plusieurs voix et, à tout moment on pourra en savoir + sur le contexte historique des événements.

Page 14 : L’homme semence

Ils étaient à peine partis que, dans le vallon, sous le bois du Défend, les fusils ont claqué. Martin et son ami Antoine-Jean ont été tués. Ils avaient tenté de s’enfuir. Mon père aussi est mort, aux Îles du Salut, condamné à la transportation à perpétuité au bagne de Cayenne, parce qu’il était un chef, parce qu’il était dangereux, parce que les assassins de la République avaient décidé de réprimer sauvagement ceux qui la défendaient. Les autres ont été transportés en Algérie. Mais tout cela, la mort du père, les déportations, nous ne le saurons que bien plus tard, lorsque les premiers transportés du village reviendront d’Algérie.Martin était mon amoureux, mon promis. J’avais seize ans et demi lorsque le malheur est arrivé. Lui en avait dix-huit. Combien de fois l’avais-je boustigué depuis des années pour lui montrer mon attirance ? Une fois, une seule fois, je lui ai laissé caresser, à travers le tissu de ma blouse, mes seins de femme déjà prête à l’amour, déjà prête à se gonfler d’enfants. C’était le 20 décembre 1851, pour la fête du solstice d’hiver qui salue la fin des jours qui raccourcissent. Le soir, nous avions dansé autour du feu malgré la tristesse de l’échec du soulèvement républicain. Ce même jour, mon père, notre maire, n’a pas voulu organiser le vote demandé par le nouvel empereur pour nous faire plébisciter son coup d’État. Le village était en colère : seuls des bulletins « OUI » avaient été imprimés par l’administration de l’illustre prince.Comme tous les hommes qui étaient revenus, moins de dix jours avant, de la bataille victorieuse des républicains du département aux Mées, contre le bataillon du 14e léger, Martin avait bu, beaucoup, pour oublier l’humiliation de la République renversée, la peur, la répression qu’on imaginait sans en connaître le visage. Moi, je pressentais des temps mauvais et j’avais décidé d’avouer vite mon amour et mon désir. Dans la grange de son père où je l’avais entraîné, j’ai appuyé ma bouche sur la sienne. Il sentait le vin mais j’ai aimé le goût de cet homme que j’étais décidée à prendre.Martin et Antoine-Jean sont les deux seuls hommes que nous ayons gardés. Deux hommes morts, deux corps jeunes que nous avons enterrés dans la mer de galets. Rufus nous lit un passage de l'hHomme Semence.